« Certains membres de la majorité présidentielle de Kabila évoquent encore un éventuel référendum ou d’autres modifications du processus électoral… », s’inquiète Human Right Wacht

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La Directrice de cette ONG Internationale a dit cette inquiétude dans son discours devant des officiels congolais au Conseil de Sécurité des Nations Unies. L’intégralité de son discours ci bas.

 

Madame l’Ambassadrice Nikki Haley, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil de sécurité, merci de m’avoir invitée à prendre à m’exprimer aujourd’hui au nom de Human Rights Watch. Votre Excellence She Okitundu et Président Corneille Nangaa, je suis honorée d’être ici avec vous aujourd’hui.

 

Le 21 janvier, les forces de sécurité ont abattu Thérèse Kapangala, 24 ans, juste devant son église à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, peu après la messe dominicale. La balle a pénétré son bras et a atteint son cœur.

 

Thérèse est décédée sur le chemin de l’hôpital. Elle étudiait pour devenir religieuse et prévoyait d’entrer dans un couvent en juillet. La famille de Thérèse – dont son père, policier, et son oncle, prêtre – a été empêchée de retirer son corps de la morgue pendant plus de deux semaines, avant de pouvoir finalement l’enterrer vendredi dernier.

 

Thérèse n’est que l’une des nombreuses personnes congolaises tuées dans le cadre de la campagne brutale menée par le gouvernement à l’encontre de tous ceux qui s’expriment en faveur de la démocratie et des droits fondamentaux en RD Congo, et menée avec le but de maintenir un homme au pouvoir en violation de la constitution du pays.

 

Les 31 décembre et 21 janvier, des dizaines de milliers de fidèles catholiques et d’autres personnes ont protesté dans plusieurs villes, appelant le président Joseph Kabila à respecter la limite de deux mandats prévue par la constitution, à autoriser la tenue de nouvelles élections et à quitter le pouvoir.

 

Les forces militaires, de police et de renseignement ont réagi en recourant à une force inutile ou excessive, tirant des gaz lacrymogènes et des balles réelles afin de disperser les foules, et même dans certains cas en tirant à l’intérieur des églises et sur les terres paroissiales.

 

Au moins 16 personnes ont été tuées et des dizaines d’autres ont été blessées ou arrêtées, dont de nombreux prêtres catholiques. Le nombre réel de victimes est probablement beaucoup plus élevé, car les forces de sécurité ont emporté des corps vers des lieux inconnus.

 

Au cours des trois dernières années, le président Kabila et ses proches ont utilisé une tactique dilatoire après l’autre pour reporter les élections et renforcer leur pouvoir par la répression brutale, la violence à grande échelle et d’autres violations des droits humains, financés par la corruption systémique.

 

Les forces de sécurité ont abattu près de 300 personnes lors de manifestations politiques pendant cette période.

 

La coalition de Kabila au pouvoir a systématiquement interdit les réunions et les manifestations de l’opposition, tout en emprisonnant des centaines de dirigeants et de sympathisants de l’opposition, ainsi que des défenseurs des droits humains et de la démocratie.

 

Nombre d’entre eux ont été incarcérés dans des centres de détention secrets, sans inculpation ni accès à des membres de leur famille ou à un avocat. D’autres ont été jugés sur base d’accusations forgées de toutes pièces.

 

En juillet dernier, des hommes armés non identifiés ont tiré sur un juge, manquant de le tuer, car il refusait de rendre une décision contre un chef de l’opposition.

 

Le gouvernement a également fermé des médias congolais, expulsé des journalistes et des chercheurs internationaux déterminés et réduit périodiquement l’accès à Internet et aux messages SMS.

 

Un accord de partage du pouvoir conclu sous l’égide de l’Église catholique et signé à la Saint-Sylvestre 2016 a fourni à Kabila une excuse pour se maintenir au pouvoir une année de plus, soit au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats arrivés à échéance le 19 décembre 2016.

 

Mais cet accord contenait également un engagement à mettre en œuvre des mesures de décrispation et organiser des élections d’ici la fin de 2017. Cependant, ces engagements ont été largement bafoués : le nouveau gouvernement, le Conseil national de suivi de l’accord (CNSA) et la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ont exclu les membres de la principale coalition de l’opposition et sont sous le contrôle total de la coalition de la majorité présidentielle de Kabila, tandis que la répression et les retards électoraux continuent.

 

Malgré la publication par la CENI du calendrier électoral en novembre – fixant au 23 décembre 2018 la nouvelle date pour des élections, avec la mise en garde que de nombreuses « contraintes » pourraient repousser encore cette date–  Kabila n’a pas démontré qu’il s’apprêtait à se retirer ni à créer un climat propice à des élections libres, équitables et crédibles.

 

Lors d’une rare conférence de presse le mois dernier, Kabila a refusé de dire explicitement qu’il quitterait ses fonctions d’ici la fin de 2018 ou qu’il ne tenterait pas de se représenter. 

 

Certains membres de la majorité présidentielle de Kabila évoquent encore un éventuel référendum ou d’autres modifications du processus électoral qui permettraient à Kabila de se maintenir au pouvoir.

 

De nombreuses organisations de la société civile congolaise ont dénoncé le calendrier de la CENI comme une simple tactique dilatoire. Elles ont appelé à la démission immédiate de Kabila et à l’organisation d’une transition citoyenne sans Kabila, qui rétablirait l’ordre constitutionnel et organiserait des élections crédibles.

 

Bien que M. Nangaa ait vanté les nombreuses réalisations de la CENI à ce jour, des inquiétudes ont déjà été soulevées concernant la fraude potentielle lors du processus d’enrôlement des électeurs, avec un nombre inexplicablement élevé d’électeurs enregistrés dans certaines régions et aucune observation indépendante.

 

De nombreuses personnes ont également exprimé leurs craintes que la machine à voter électronique proposée crée de nouvelles occasions de fraude dans la façon dont les votes sont comptabilisés. Et sachant qu’il faudra montrer à de nombreux Congolais comment utiliser la machine, cela les empêchera de voter à scrutin secret.

 

Les experts électoraux internationaux des organismes régionaux et internationaux – mandatés lors d’une réunion en septembre dernier pour aider à restaurer la confiance envers le processus électoral – n’ont pas encore commencé leur travail, les responsables de la CENI rejetant l’idée que les experts puissent conserver leur indépendance.

 

Sans transparence, et la coalition au pouvoir contrôlant l’ensemble du processus, il n’est pas surprenant qu’il y ait peu de confiance parmi les activistes congolais pro-démocratie et les dirigeants de l’opposition.

 

Le refus de Kabila de se conformer à la constitution et de renoncer à la présidence peut s’expliquer en partie par la fortune considérable que lui et sa famille ont accumulée pendant son mandat et par les millions de dollars de revenus miniers qui ont disparu.

 

Une telle corruption a contribué à priver le gouvernement des fonds qui lui auraient permis de répondre aux besoins fondamentaux d’une population appauvrie.

 

Pire encore, des sources bien placées au sein des services de sécurité et de renseignement ont décrit à Human Rights Watch des tentatives des autorités pour semer la violence et l’instabilité dans une grande partie du pays, dans une « stratégie du chaos » apparemment délibérée afin de justifier de nouveaux retards électoraux.

 

Depuis août 2016, une éruption de violence impliquant les forces de sécurité congolaises, les milices soutenues par le gouvernement et les groupes armés locaux a fait jusqu’à 5 000 morts dans la région centrale du Kasaï.

 

En mars dernier, deux enquêteurs de l’ONU – Michael Sharp, un Américain, et Zaida Catalán, de double nationalité suédoise et chilienne – ont été tués alors qu’ils enquêtaient sur de graves violations des droits humains dans la région.

 

Alors que les autorités congolaises continuent à incriminer les membres d’une milice locale et qu’elles ont interféré à plusieurs reprises dans l’enquête judiciaire congolaise sur les meurtres, les enquêtes de Human Rights Watch ainsi que des rapports publiés par Radio France Internationale et par Reuters s’orientent vers une responsabilité du gouvernement.

 

Des violences à grande échelle se sont poursuivies dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu et celle du Tanganyika, et plus récemment dans la province de l’Ituri, où plus de 30 personnes auraient été tuées dans des combats interethniques au début du mois, dans l’est de la RD Congo.

 

Aujourd’hui, plus de 120 groupes armés sont actifs dans l’est de la RD Congo. Nombre de ces groupes reçoivent le soutien du gouvernement et des forces de sécurité congolaises, tandis que d’autres ont formé des coalitions contre le gouvernement Kabila. 

 

Pourtant, la menace la plus grave pour les civils congolais provient des forces de sécurité destinées à les protéger. Selon le Bureau de l’ONU aux droits de l’homme en RD Congo, 1 180 personnes ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires par des « agents de l’État » congolais en 2017, soit beaucoup plus que celles qui ont été tuées par les groupes armés, et leur nombre a triplé en deux ans.

 

Les conséquences de cette violence ont été dévastatrices. Près de 4,5 millions de personnes sont déplacées en RD Congo aujourd’hui, soit davantage que dans tout autre pays d’Afrique.

 

En octobre dernier, les Nations Unies ont classé la RD Congo comme une « urgence humanitaire de niveau 3 » (le plus haut niveau), une catégorie réservée à seulement trois autres pays : la Syrie, l’Irak et le Yémen.

 

Les pays voisins sont de plus en plus préoccupés par la détérioration de la situation en RD Congo et par les risques que la crise politique du pays fait peser sur la stabilité dans une région déjà fragile.

 

Alors que les forces de sécurité fomentent elles-mêmes une grande partie de la violence en RD Congo, cela a également servi de prétexte aux retards électoraux. En juillet dernier, M. Nangaa a affirmé que la violence dans les Kasaïs était l’une des principales raisons pour lesquelles les élections n’auraient pas lieu en 2017.

 

Pas plus tard que la semaine dernière, il a déclaré que la reprise des violences en Ituri pourrait « impacter négativement » sur le calendrier électoral.[17]

 

S’il n’y a pas de doute que la logistique de l’organisation des élections en RD Congo constitue un défi, le pays y est parvenu dans le passé, aussi bien en 2006 qu’en 2011, lorsque Kabila a été élu pour ses premier et deuxième mandats, malgré les menaces de sécurité persistantes.

 

Quelles excuses supplémentaires pouvons-nous attendre dans les semaines et les mois à venir ? Combien d’autres promesses seront-elles brisées ? Et plus important encore, combien de Congolais de plus seront tués, blessés et emprisonnés alors qu’ils cherchent à exercer leurs droits humains fondamentaux pour manifester, s’exprimer et s’associer librement de façon pacifique.

 

Ce Conseil et les États membres des Nations Unies ont reconnu qu’un cycle électoral crédible et pacifique est crucial pour une paix et une stabilité durables en RD Congo.

 

De nombreuses déclarations fortes ont été faites et des résolutions du Conseil de sécurité ont été adoptées, insistant d’abord sur le fait que les élections devaient se tenir d’ici fin 2016, conformément à la constitution congolaise, puis que les élections devaient avoir lieu d’ici fin 2017, conformément à l’Accord de la Saint-Sylvestre.

 

La question clé aujourd’hui est, en quoi est-ce différent cette fois ? Qu’est-ce qui convaincra Kabila et d’autres hauts responsables que la communauté ne tolérera pas de nouveaux retards et que les violations des droits humains contre les manifestants, les activistes de la société civile, les membres de l’opposition et les journalistes doivent cesser pour permettre un processus crédible, juste et pacifique ?

 

De nouveaux retards électoraux, une possible manipulation de la constitution par Kabila afin de lui permettre de briguer un troisième mandat, ou bien une élection frauduleuse ou violente ne résoudront pas les problèmes sous-jacents de la RD Congo ni n’apporteront au pays une paix et une stabilité plus grandes. De tels scénarios doivent être évités.

 

Le Conseil de sécurité, sa mission de maintien de la paix en RD Congo, la MONUSCO, les États membres de l’ONU et l’Union africaine ont un poids important. Il est temps d’utiliser cet effet de levier pour le bien-être du peuple congolais.

 

Premièrement, le Conseil de sécurité devrait signaler clairement que le 23 décembre 2018 est la date limite pour la tenue d’élections crédibles. Entre-temps, le Conseil devrait être prêt à défier le gouvernement s’il ne crée pas un environnement propice à des élections crédibles, où tous les Congolais sont libres d’exprimer leur choix, de participer aux élections et de manifester pacifiquement.

 

Deuxièmement, lors du renouvellement du mandat de la MONUSCO, le Conseil de sécurité devrait conserver des termes forts concernant la protection des civils, notamment dans le contexte des élections.

 

Il devrait également demander au Département des opérations de maintien de la paix de fournir à la mission des ressources suffisantes pour protéger efficacement les manifestants pacifiques contre la force illégale employée par les forces de sécurité congolaises, notamment en déployant des unités de police des Nations Unies formées et équipées pour travailler en milieu urbain.

 

Conformément à la politique de l’ONU de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme, le Conseil devrait veiller à ce qu’aucun soutien de l’ONU ne soit apporté aux forces de sécurité congolaises responsables d’abus.

 

Au vu des abus généralisés du gouvernement, cela pourrait nécessiter de suspendre toutes les opérations conjointes et le soutien aux forces de sécurité congolaises, jusqu’à ce que des mesures concrètes soient prises pour mettre fin aux violations généralisées des droits humains et pour traduire en justice leurs auteurs, quel que soit leur grade.

 

Troisièmement, des critères et des limites claires devraient être établis pour déterminer si les violations continues des droits humains portent atteinte à l’environnement favorable aux élections prévues. Ces critères pourraient inclure les délais fixés dans le calendrier de la CENI, et résumés dans la note conceptuelle de cette réunion, ainsi que les mesures suivantes pour ouvrir l’espace politique :

 

* Remettre en liberté tous les prisonniers politiques et les activistes détenus arbitrairement ;

 

* Abandonner les accusations reposant sur des motifs politiques à l’encontre de dirigeants politiques et d’activistes, et permettre aux personnes qui vivent en exil de rentrer librement en RD Congo, à commencer par celles citées dans l’accord du Nouvel An ;

 

* Permettre aux médias fermés arbitrairement de reprendre leurs activités ;

 

* Permettre à l’opposition politique, à la société civile et aux mouvements de citoyens, ainsi qu’aux chefs religieux, d’organiser des réunions politiques et des manifestations pacifiques sans crainte de répression ;

 

* Veiller à ce que les observateurs des droits humains de l’ONU aient libre accès aux lieux de détention officiels et non officiels, aux établissements médicaux et aux morgues ;

 

* Cesser les interférences arbitraires avec Internet, la messagerie texte SMS et les plateformes de médias sociaux ;

 

* Assurer la transparence des opérations de la CENI et la coopération avec les experts électoraux internationaux.

 

* Quatrièmement, le Conseil devrait demander à la Représentante spéciale du Secrétaire général en RD Congo, Leila Zerrougui, d’organiser régulièrement des réunions d’information pour évaluer si les progrès nécessaires sont réalisés et être disposé à imposer des mesures, dans le cas où de graves violations des droits humains se poursuivent.

 

Ces mesures pourraient inclure des modifications au mandat de la MONUSCO, le soutien à de nouveaux efforts régionaux, un appel aux États membres à s’abstenir de fournir des armes meurtrières aux forces de sécurité congolaises, et l’élargissement de sanctions ciblées, notamment contre le Président Kabila et d’autres personnes responsables de violations graves des droits humains internationaux et du droit international humanitaire.

Au début du mois, le Conseil a annoncé des sanctions importantes contre un général de l’armée congolaise et trois dirigeants de milices qui ont été impliqués dans de graves abus dans l’est de la RD Congo. L’impact de telles actions serait beaucoup plus fort si le Conseil s’en prenait à un plus haut niveau dans la chaîne de commandement.

Le Conseil de sécurité, de concert avec l’Union africaine et les autres États membres de l’ONU, a une occasion cruciale de démontrer qu’il est dans leur intérêt de promouvoir le respect et la promotion des droits du peuple congolais. Mais cela nécessitera de passer rapidement de déclarations fortes à des actions concrètes.

Ida Sawyer

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