UN SOS A MARY ROBINSON

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Le 20 Mai 2013

Madame Mary Robinson

Envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour la région des Grands Lacs

Mary Robinson Foundation, Trinity College

6 Sth Leinster Street

Dublin 2, Ireland

 

Appel urgent des activistes congolais de droits humains à Mary Robinson afin de faire cesser le soutien rwandais au M23 et de traduire en justice les leaders du M23

  

Madame Mary Robinson,

 

Nous, représentants des organisations des droits humains congolaises, vous félicitons pour votre nomination en qualité d’Envoyée Spéciale pour la région des Grands Lacs, et de votre engagement ainsi que de l’intérêt particulier à contribuer au retour de la paix et de la sécurité dans cette région, que vous avez manifesté en acceptant cette lourde tâche.

Il y a des dizaines de groupes armés dans notre pays qui commettent des violations des droits humains. Il est urgent que le gouvernement congolais, avec le soutien des acteurs internationaux, entreprenne une action sérieuse, concrète, et concertée afin de mettre un terme à la menace représentée par ces groupes et de restaurer l’autorité de l’État dans l’ensemble du pays.

Dans cette lettre, nous souhaitons souligner les récentes atrocités commises par le M23, le mouvement rebelle dans l’est de la RD Congo qui, selon nous, représente la plus grande menace pour la RD Congo et la stabilité régionale aujourd’hui, étant donné l’étendue du territoire contrôlé par ce mouvement, sa capacité militaire, le soutien constant qu’il reçoit de la part d’acteurs étrangers et le lourd bilan de ses dirigeants spécialisés en matière de terribles atteintes aux droits humains.

Pendant que la communauté internationale et les instances régionales continuent de rechercher des solutions politiques, nos sœurs sont violées jour et nuit et nos frères recrutés de force par le M23. Nous avons documenté ce recrutement forcé, les actes de torture, les exécutions sommaires et autres graves violations des droits humains perpétrées par le M23. Chaque jour, les Congolais qui vivent dans la zone contrôlée par le M23 sont inquiets à la tombée de la nuit et se demandent s’ils ne seront pas visités par les hommes armés qui viennent enlever, violer ou tuer les membres de leur famille respective. Ils sont victimes des atrocités sans pareil. C’est devenu une vie avec un contrat de 24 heures renouvelable chaque matin. Dans certains villages, les enfants n’ont plus accès aux cadres d’éducation scolaire et sont ainsi privé de ce droit fondamental garanti par la constitution de la république.

Le nombre de graves violations des droits humains semble avoir augmenté au cours des dernières semaines dans le territoire de Rutshuru, dont une grande partie est sous le contrôle du M23 :

  • Le 13 avril à 17h Eric Mugwaneza, 15 ans, était assis dans un magasin du village de Kasizi. Un soldat du M23 a réclamé la preuve qu’il avait exécutée du travail forcé pour le M23, une obligation dans de nombreuses parties du territoire se trouvant sous le contrôle des rebelles. Lorsqu’Eric n’a pas pu fournir cette preuve, le soldat lui a tiré dans la poitrine. Il a été emmené jusqu’à un centre de soins local près de Kibumba où il est décédé à 2h du matin le lendemain.
  • Le 18 avril à 23h, des hommes armés sont arrivés chez Hamisi Katana Butunari, 54 ans, un chef de village local à Rukoro. Il a été ligoté avec une corde et les rebelles lui ont demandé de dire au revoir à sa femme. Le lendemain matin, son corps a été retrouvé décapité à 100 mètres de sa maison. Ses parties génitales avaient également été mutilées. Il avait formulé des critiques à l’égard du M23 lors d’une récente réunion.
  • Dans la nuit du 1er mai, des éléments soupçonnés de faire partie du M23 se sont livrés à une série de pillages dans la ville de Kiwanja. Des militants locaux ont indiqué qu’ils avaient pillé 400 maisons dans les quartiers de Buzito et de Buturande. Dans la plupart des cas, les pilleurs ont réclamé de l’argent et des téléphones portables. Trente-six personnes ont été blessées au cours de cette vague de pillages.
  • Il existe des renseignements fiables selon lesquels le nombre de viols serait en forte augmentation dans le territoire de Rutshuru. Des dizaines de femmes et de filles à Kalengera, Kitarama, Buchoko, Kazuba, Kivegerere – des villages proches de l’une des principales bases militaires du M23 à Rumangabo – ont été violées par des combattants présumés du M23 au cours des dernières semaines. De nombreuses victimes ont trop peur des représailles du M23 pour s’exprimer publiquement. Une de ces victimes à témoignée à nous :

«  Deux militaires de M23 m’avait trouvé dans le champ, ils m’avaient demandé de leur fait déraciné les colocases. Ensuite ils (militaires) m’avaient fait transportés un régime de banane qu’ils étaient venus avec et nous sommes partis environs un kilomètre et demi dans la brousse. Quand nous nous sommes approchés du camp militaire de Rumangabo, ils m’ont dit de me mettre par terre, ensuite ils m’ont violés tous les deux. Apres cela, ils m’ont dit si j’ose parler ils rentreront me tuer dans mon champ. Et depuis ce jour je ne sors plus de la maison à cause de la peur… quand les enfants me demandent pourquoi je ne vais plus au champ, je ressens les larmes coulées car je n’ai pas un autre champ, et c’est seulement ce champ qui nous alimente et fait étudier les enfants, et je n’ai pas la nourriture à leur donner car je suis veuve, mon mari on l’avait tué en 2008… »

  • Entre le 28 mars et le 23 avril, de nombreux témoins oculaires ont déclaré avoir vu des soldats rwandais franchissant la frontière pour entrer en RD Congo à Kasizi. Certains sont arrivés à pied tandis que d’autres se trouvaient à bord de véhicules transportant des armes et des munitions. Des sources indiquent que ces troupes et ce matériel militaire provenaient de la position militaire de l’armée rwandaise se trouvant à Njerima, du côté rwandais de la frontière avec la RD Congo. Le récent mouvement de troupes rwandaises au sein de la RD Congo constitue une violation flagrante des Accords d’Addis Abeba signés en février.
  • Le 23 avril, des militaires rwandais sont venus s’installaient dans trois localités (Rutezo, Songa et Kabira) du groupement de Busanza dans le territoire de Rutshuru. La population locale affirme avoir connus certains d’entre eux comme étant des ex-combattants FDLR qui étaient rapatriés dans le programme DDRRR vers le Rwanda, mais ils sont revenus au sein des militaires rwandais pour venir combattre au côté du M23.
  • Depuis le mois de mars, nous avons également rendu compte d’une augmentation dans les activités de recrutement menées par le M23, notamment le recrutement forcé d’enfants. Nombre de ces nouvelles recrues ont été emmenées dans des centres d’entraînement (Rumangabo et Chanzu) où des officiers de l’armée rwandaise leur apprennent à se battre.
  • Depuis le mois de juillet 2012, le M23 avait pris le chef-lieu du territoire de Rutshuru où ils ont commencé à recruter de force les jeunes et enfants, c’est à lors que plusieurs jeunes ont rejoint des groupe armés. Actuellement, plusieurs enfants et jeunes ne savent plus aller à l’école par crainte des actes des recrutements forcé et d’autres ont fui vers l’Ouganda, vivre dans les camps des refugiées. L’avenir de la jeunesse dans les zones sous contrôlent du M23 est incertain.
  • Depuis l’arrivée du M23 à Rutshuru, ce mouvement rançonne la population en imposant des taxes exorbitantes à la pauvre population qui ne vive que de l’agriculture. Comme si cela ne suffit pas, depuis le début du mois d’avril dernier, le M23 a opté pour une méthode de kidnapping des populations sur les tronçons routiers, dans les champs, la nuit dans les maisons. Les personnes kidnappées sont torturés, menacé de mort pour forcer leur famille a donné une rançon allant de 3000 à 6000$. Comme une famille de Rutshuru est dans l’impossibilité de donné une telle somme c’est souvent tout le village de la personne enlevée qui se cotise pour sa libération. Au moment où nous vous écrivons trois personnes viennent d’être enlevée dont un enfant et une femme. Ce phénomène est devenu un business pour le M23.

Madame Robinson, ces exemples ne sont qu’un faible aperçu des graves atteintes aux droits humains qui sont perpétrées dans l’est de notre pays. Il est dangereux pour les défenseurs des droits humains d’enquêter ouvertement sur ces violations ainsi que sur d’autres cas, du fait des menaces de la part du M23 à l’encontre des défenseurs des droits humains et des membres de la société civile. Certains de nos collègues ont été enlevés, battus ou même tués. Il est parfaitement hypocrite de la part du M23 de se présenter comme un mouvement de paix ayant à cœur l’intérêt des citoyens alors qu’ils tuent les membres de nos familles, qu’ils violent nos femmes, menacent les militants et accueillent des soldats rwandais sur le territoire congolais.

Tandis que le Rwanda continue à nier son implication dans le mouvement, ceux d’entre nous qui se trouvent dans le Rutshuru vivent parmi les soldats du Rwanda. Nos collègues ont parlé avec des soldats rwandais qui admettent avoir été envoyés en RD Congo par le Rwanda. Alors que la communauté internationale discute de cette question, nous n’avons aucun doute : nombre des combattants du M23 sont des Rwandais, envoyés en RD Congo par l’armée rwandaise. Des hauts responsables rwandais continuent d’apporter un important soutien au M23.

Nous avons pu constater à maintes reprises au cours des vingt dernières années la façon dont de hauts responsables rwandais ont nié le rôle abusif joué par leur pays dans l’est de la RD Congo – en dépit de preuves manifestes que des officiers militaires rwandais étaient souvent déployés en RD Congo et appuyaient l’AFDL, le RCD, le CNDP, et maintenant le M23, ainsi que d’autres mouvements rebelles affiliés.

Nous vous demandons instamment de voir plus loin que les déclarations et dénégations publiques que vous pouvez entendre de la part d’autorités rwandaises, et de veiller à ce que nous n’assistions pas à une répétition d’accords antérieurs non respectés qui ont en réalité donné le contrôle de facto de l’est de la RD Congo au Rwanda par le biais de mouvements affiliés. Nous vous demandons d’appeler publiquement le Rwanda et l’Ouganda, dans les termes les plus fermes possible, à cesser tout soutien militaire au M23 et aux autres groupes armés responsables de violations généralisées dans l’est de la RD Congo.

Nous vous prions également d’adopter une ligne ferme contre l’intégration au sein de l’armée congolaise de dirigeants du M23 présentant de lourds bilans en matière d’atteintes aux droits humains, notamment Innocent Kayna, Sultani Makenga, Innocent Zimurinda et Baudouin Ngaruye. Ces hommes ont tué ou supervisé les meurtres et les viols de milliers de civils congolais. Ils sont au nombre des pires auteurs de violations des droits humains dans notre pays et doivent répondre de leurs actes ignobles devant la justice.

Nous nous félicitons de la position du gouvernement congolais selon laquelle il n’accordera pas d’amnistie, ni ne les réintègrera dans l’armée congolaise ces déviants de l’idéologie patriotique, dont parmi eux les dirigeants du M23 qui figurent sur les listes de sanctions des Nations Unies ou font l’objet de mandats d’arrêt congolais ou internationaux pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou autres graves violations des droits humains. Nous vous demandons de veiller à ce que notre gouvernement respecte cet engagement.

Nous soutenons également le déploiement de la nouvelle Brigade d’Intervention, pour autant qu’elle prenne toutes les mesures possibles pour protéger les civils et respecter le droit humanitaire international. Si le dialogue est important, la pression militaire sera probablement nécessaire pour encourager les combattants du M23 à déposer les armes et à déserter. La brigade peut également contribuer à mettre un terme au M23 et autres rébellions coupables de violations en menant des opérations ciblées pour arrêter les chefs rebelles responsables de certaines des pires atrocités.

La majorité des combattants – dont beaucoup sont des enfants qui ont été recrutés par la force et n’ont aucun entraînement ni expérience militaires – ont besoin d’une alternative sure et viable. Pour cette raison un nouveau processus de Désarmement, Démobilisation et Réintégration bien cadré est crucial. Des tentatives antérieures ont échoué : l’argent a disparu, et d’anciens combattants qui s’étaient rassemblés dans les centres de regroupement sont retournés dans la brousse pour rejoindre les groupes armés des semaines ou des mois plus tard, en l’absence de suivi de la part du gouvernement. Le nouveau programme doit être correctement géré, et doté d’un mécanisme fort de surveillance ainsi que d’opportunités d’emplois civils à long terme pour les anciens combattants. Ce programme devrait être élaboré et mis en œuvre avant le début des opérations militaires de la brigade.

Nous sommes arrivés à un moment clé dans notre pays : si notre gouvernement et les autres gouvernements de la région respectent leurs engagements contenus dans l’Accord-cadre signé à Addis Abeba, nous pourrons entreprendre le chemin vers la paix et la justice. Mais s’ils ne respectent pas les accords, la RD Congo va continuer à accumuler les maux.

Pour conclure, nous vous remercions profondément de l’attention particulière que vous voudrez bien réserver à nos recommandations et restons disposés à fournir tout autre renseignement nécessaire. Une petite délégation représentant les signataires de cette lettre apprécierait également la possibilité de vous rencontrer lors de votre prochaine visite en RD Congo à la fin du mois de mai, afin d’aborder plus en détail nos préoccupations et nos recommandations.

 

Veuillez agréer, Madame Mary Robinson, l’assurance de notre profonde considération.

 

Les ONG de défense des droits humains en RD Congo :

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